Vis ma vie de manager en parfumerie.

Lundi Beauté ! Pas mal de filles passionnées de cosmétiques rêvent de travailler dans l'univers féerique de la beauté. Alors même si avec ce post je vais vous lever une petite partie du voile, vous montrer un peu l'envers du décors, en fait je crois que cet article surtout je l'écris pour moi, pour tirer un trait sur une expérience difficile qui m'a profondément marquée. Elle date déjà d'il y a quelques années, c'était mon tout premier poste et pourtant pendant longtemps, il me suffisait d'en parler pour avoir les larmes aux yeux et me sentir mal.



Source: picfor.me via Sharon on Pinterest


Je ne donnerai pas le nom de l'enseigne, étant donné que d'un magasin à l'autre l'ambiance de travail change complètement (il suffit parfois d'une seule personne pour pourrir une équipe...) et que la taille des points de vente change aussi l'organisation des équipes. Moi j'étais dans un magasin d'une douzaine de personnes.

J'ai fait des études de marketing et de commerce international, et une fois ma maîtrise en poche et quelques expériences de stagiaire dont une à l'étranger, j'ai commencé à chercher un travail. Assez rapidement, je trouve un jour une annonce pour un poste de manager / chef de rayon dans une parfumerie pour s'occuper des rayons maquillage, soin et accessoires. Il n'y a pas d'informations sur l'enseigne ni sur l'endroit, mais tentée, je me dis pourquoi pas, j'envoie ma candidature et surprise ! Je décroche un entretien ! Quand on me donne l'adresse, je n'ai aucun a priori car je ne connais pas l'endroit.

Sauf que là, j'aurais déjà dû partir en courant.

Car c'est une belle enseigne certes, mais située dans un centre commercial pourri dans une ville de banlieue pas moins pourrie gangrenée par les trafics de drogue et la violence. La première fois que j'y vais, je ne fais pas tellement attention parce que j'arrive en voiture, et puis surtout, j'ai plein d'étoiles dans la tête. L'entretien se passe bien, j'en passe un ou deux autres, je suis hyper motivée, je suis une jeune diplômée prête à se défoncer même si je n'ai pas d'expérience dans ce domaine. Mais j'apprends vite, mes précédents employeurs ont toujours été satisfaits de mon travail, alors je suis déterminée.

Quand j'apprends que je suis sélectionnée pour le poste, je ne retiens plus ma joie, c'est comme un rêve qui se réalise même si je sais que je vais travailler tous les samedis !

Sauf que plus tard j'apprendrai que même en interne il n'y avait pas grand monde d'intéressé pour ce poste mal situé et où les managers se succédaient sans jamais rester plus de quelques mois. Alors forcément, réussir à mettre la main sur une jeune diplômée sur-qualifiée, hyper motivée, prête à se "brader" à 1450€ brut par mois (hors primes), qui présente bien et qui parle bien... c'était le bon plan !


Source: Pinterest


Mon arrivée sur le poste.

Je prends rapidement mes fonctions, je suis censée suivre une formation sur plusieurs semaines, mais voilà, ma responsable veut quelqu'un tout de suite, alors je vais passer seulement quelques jours dans un autre magasin auprès d'une autre manager pour apprendre les rudiments du métier. Sauf que je suis fraîchement accueillie : il semble qu'il y ait un passif entre les équipes des deux magasins...

On me montre vite fait comment faire des encaissements et gérer les caisses (ouverture, fermeture, compta), on me donne encore plus rapidement un aperçu du côté gestion et surtout, on m'utilise pour faire de la vente. Je passe mes journées debout perchée sur des talons (à l'époque, les talons faisaient partie du dress code) à rien apprendre si ce n'est à dire "Bonjour Madame, je peux vous aider ?". Ce que je ne peux pas vu que je n'y connais rien à l'époque en produits de beauté (ah, si seulement j'avais eu un blog...). Donc toute la journée, j'appelle à l'aide les autres vendeuses, et comme je sais bien faire les paquets cadeaux, j'y ai systématiquement droit... Bref, malgré mon enthousiasme et ma bonne humeur, très vite je m'ennuie en plus d'avoir méchamment mal aux pieds.

Quand je retourne dans mon magasin, je suis complètement perdue : je sens rapidement que je n'étais pas la candidate choisie par ma directrice car elle ne me donne aucune information, on ne se concerte pas pour fixer des objectifs, je suis lâchée en roue libre. Certaines des vendeuses que je manage sont plus âgées que moi et ne l'acceptent pas, c'est le début de mon calvaire.

Comme je suis à peine formée, j'essaie de compenser en me donnant deux fois plus et je fais des heures supplémentaires pour essayer de rattraper tout ce qui a été laissé en jachère sur mon poste : les plans d'implantation merchandising ne sont pas à jour, les stocks (des milliers de vernis, crayons, rouges à lèvres, etc...) ne sont pas tenus et personne ne connait les quantités réelles, il manque des dizaines de testeurs en rayon, bref c'est le souk...

S'il y a du monde en magasin, je reste en renfort de l'équipe même si j'ai fini mes heures (évidemment ces heures supplémentaires ne sont ni payées, ni récupérées...) et quand ma collègue manager doit modifier  tout son univers suite à une réimplantation du magasin, je reste jusque tard le soir pour l'aider à ranger les centaines de références de parfums en rayon. Mais à l'inverse, elle ne me vient pas en aide quand moi j'ai besoin d'un coup de main.


Mon travail au quotidien.

Quand je suis d'ouverture, je dois arriver le matin à 7h, pour :
  • compter le coffre : je dois compter et consigner dans un tableau chaque pièce, billet, chèque ou paiement en CB, tickets cadeau...
  • sortir les chiffres de la veille et les objectifs du jour : le chiffre d'affaire, le nombre de ventes par marque, catégorie, le panier moyen, le nombre de visiteurs... 
  • préparer les caisses : préparer la monnaie, mettre les machines en route, vérifier le comptage de la veille
  • vérifier mes rayons : s'assurer qu'il n'y a pas de "trou" dûs à des ruptures de stocks, vérifier les testeurs, les étiquettes de prix... pour ensuite briefer mon équipe
  • accueillir la femme de ménage ou la remplacer quand elle nous fait faux bond... 
  • faire les inventaires et gérer mes stocks : bipper des milliers articles avec un petit appareil pour mettre les stocks à jour, quand c'est sur du maquillage ou des accessoires cheveux, c'est l'horreur... 
  • gérer les livraisons : comme les vendeuses arrivent en général seulement à 8 ou 9h, il faut commencer à déballer les dizaines de (lourds) cartons et tout ranger en rayon.
  • pour les animations commerciales : installer les publicités qui habillent le magasin, les PLV...


Et le soir, quand je suis de fermeture à 20h, avant de partir, je dois :
  • clôturer les caisses : compter chaque euro -merci les clients qui paient avec plein de centimes !- les tickets cadeaux, les retours de produits, etc...
  • sortir encore les chiffres de vente et le reporting
  • mettre l'alarme, faire le tour du magasin, fermer la grille...


Le reste de la journée :
  • chaque heure je dois faire un point sur les chiffres pour motiver l'équipe et être sûre qu'on atteindra les objectifs. On a des objectifs de ventes par marque, par type de produits, et quand il y a une animation commerciale, on a aussi des chiffres à faire dessus (les marques investissent pour les animations avec par exemple des démonstratrices, donc derrière les ventes doivent suivre). Nos primes sont calculées selon ses objectifs et les marques offrent aussi des cadeaux pour les équipes qui réalisent leurs objectifs de vente.
  • une grande partie de mon temps, je fais de la vente parce que l'équipe est souvent débordée : je conseille les clients et je fais aussi les encaissements
  • il faut gérer les conflits avec les clients grossiers qui t'insultent ou qui volent, dissiper les tensions entre les vendeuses qui ne s'aiment pas et qui ont des comportements immatures...
  • recevoir les commerciaux des marques qui viennent présenter les nouveautés.


Ce qui me stresse le plus  ?

  • les remises de banque : les convoyeurs de fonds passent tôt le matin quand je suis encore toute seule dans le magasin, ils frappent à la porte de la réserve qui donne sur l'extérieur du centre commercial, et là on peut se faire braquer à n'importe quel moment. Ca dure moins de 5 mn, mais pour moi c'est l'angoisse : un des convoyeurs frappe à la porte métallique comme s'il voulait la défoncer, et pendant que je fais la remise de l'enveloppe plein de sous, il garde constamment la main à la hanche posée sur son flingue.
  • quand je traverse la gare mal famée et le parking désert à 7h du matin. Le centre commercial est vide, et à chaque fois que j'arrive devant la grille du magasin, je prie pour que l'alarme capricieuse ne se déclenche pas en ouvrant. Le soir ça va, je repars avec un agent de sécurité.
  • la violence et les agressions qui ont lieu dans le quartier et dans le centre commercial.
  • les visites des clientes mystères : si ça tombe sur toi et que tu obtiens un mauvais score, tout le magasin t'en veut à mort (il y a une méthode de vente à respecter : proposer de l'aide et un panier, faire des ventes additionnelles, proposer les emballages cadeaux, etc...)
  • les vols dans la caisse et dans la réserve : ma directrice m'a fait vider et fouiller les poubelles des toilettes pour rechercher des emballages de parfums volés (sans commentaires). A chaque fois qu'il manque de l'argent dans la caisse c'est la suspicion, à un moment il y avait tellement de vols je comptais les caisses plusieurs fois par jour.
  • le comportement de ma chef qui me dit bonjour selon son humeur, partage des infos aux autres mais pas à moi, essaie de "casser" la cohésion que j'essaie de mettre en place dans mon équipe et surtout son manque de support pour m'aider à m'installer dans mon poste. Comme tous les débutants, il m'arrive de faire des erreurs et elle en profite pour me rentrer dedans allègrement et me dénigrer même devant mon équipe.




Petit à petit, je perds l'appétit, j'ai constamment une boule dans le ventre, le dimanche soir, je commence à angoisser, chaque matin, je me demande ce qui va me tomber dessus. Je perds du poids jusqu'à faire une taille 32, je dors mal, parfois je passe la journée les larmes aux yeux tellement je suis à fleur de peau.


Au bout de plusieurs mois de calvaire, je finis quand même par être inscrite à une session de vraie formation au siège de l'enseigne et là, je découvre qu'en fait je ne sais rien. Je découvre des process que personne ne m'a jamais montrés, ça fait des mois que je rame et que je me débats à mon poste, je suis écoeurée.



Il y a toutefois quelques points positifs : 

  • les objectifs de vente que j'arrive à atteindre,
  • les félicitations des commerciaux qui voient mes efforts pour présenter correctement leurs produits (rayons propres et rangés avec les testeurs selon les plans de merchandising)
  • la relation que j'ai réussi à construire avec mes vendeuses et les agents de sécurité
  • les journées de formation chez les marques comme Dior, Estée Lauder, Clinique... les cours de maquillage et de soin
  • les remises sur les produits
  • les soirées de lancement
  • l'excitation des challenges pour les ventes privées par exemple
  • l'échange avec les clients pour les conseiller
  • les cadeaux : tous les mois on a le droit à 2 ou 3 testeurs de parfums plus tous les cadeaux des marques (des sacs, des produits...)



Mais malgré tout cela, je suis à bout et l'équipe du magasin l'est aussi à cause des conflits et de l'environnement agressif. Les unes après les autres, 3 vendeuses tombent enceintes et cela rajoute encore des tensions à cause des aménagements de temps de travail. Au bout de 6 mois, complètement vidée et au bord du gouffre je décide enfin de sauver ma peau quand ma directrice me propose de me rétrograder au poste de vendeuse au lieu d'accepter que je change de magasin. J'ai mis des mois à m'en remettre.


Mais j'ai pu prendre ma revanche.

J'ai retravaillé pour me payer un Master de Marketing et Communication dans une école de commerce et ensuite j'ai été embauchée dans un très grand groupe comme chef de produit en charge du merchandising pour un réseau de plus de 40.000 points de vente dans toute la France. Et malgré tout ce que m'a dit cette directrice, je me suis prouvée que j'étais capable de gérer des projets, des personnes et des budgets de près d'un million d'euros.

Il y a quelques temps, j'ai rencontré par hasard une de mes anciennes vendeuses qui m'a appris que la valse des managers avait continué après mon départ, et que finalement le magasin avait été fermé et surtout que la directrice avait été virée du groupe.


Voilà, la page est tournée.